Clarence
Hé hé... C'est tu es mignonne, ma petite nièce... Une petite bouille
avec des joues toutes rouges, des yeux toujours grands comme des
assiettes, et une petite bouche entr'ouverte. Tu regardes partout
autour de toi, et moi je te regarde. Combien ça te fait, 2 ans ? 2 ans
et 4 mois... A ton âge, c'est énorme, quatre mois... Au mien aussi,
d'ailleurs, mais peut-être pas pour les mêmes raisons. 2 ans et 4
mois... Pauvre petite... Tu n'as rien fait de mal. Tu ne sais pas, en
regardant tout ce monde, tous ces sourires autour de toi, tu ne sais
pas ce que c'est que le monde des Grands. Tu ne sais pas que d'ici à ce
que tu aies grandi, des milliers d'hectares de forêt luxuriante auront
disparus pour fabriquer les livres où tu verras pour la première fois
ce que c'est qu'un tigre, ce qu'est un perroquet, un panda. Tu ne sais
pas encore que la bouillie que tu manges, nous la fabriquons sur le dos
de millions d'enfants dont on voit les os et qui n'auront jamais tes
joues rebondies... Tu ne sais pas ce que c'est, l'argent. Même quand,
plus tard, tu joueras à la vendeuse, tu ne sauras pas ce que c'est...
Ma pauvre petite, qu'est-ce qu'il te reste à découvrir... La haine, le
racisme, la politique, la sous-culture, la violence, la religion, et
toujours au centre ces mots : efficacité. rentabilité. productivité.
Tu
n'as rien fait de mal... Viens, laisse-moi te serrer dans mes bras...
Tu ne sais pas encore la douleur que tu vas avoir, dans 10 ans... Ca me
fait mal au coeur... Ce monde va te violer impitoyablement. Après, il
faudra que tu l'acceptes, ou que tu deviennes folle.
Mais il te
reste aussi à découvrir qu'être considéré comme fou dans un monde pareil, ce n'est pas si mal que ça... Viens
dans mes bras. Tu sais ce que je lui dis, à ta petite oreille, en
caressant ta tignasse blonde ? Il te reste à découvrir l'Amour et
l'Espoir, à redécouvrir les Nuages, la Lune et le Soleil, la Mer...
Pour l'instant tu les vois sans les voir... Ce n'est que quand tu auras
vu l'horreur du monde, que tu en auras pris conscience, que tu pourras
apprécier la beauté, là où tu la trouveras. Tu la chercheras partout,
tu en seras avide... Le plus souvent d'ailleurs, elle te glissera entre
les doigts, et tu te retrouveras avec une beauté mélancolique, la
beauté des larmes.
Comme je te plains, petite Clarence...