Lettre de nuit
Discrètement, un homme tire le loquet de la porte d'entrée. Avec des
précautions infinies, pour ne réveiller personne, il pousse le cadre de
bois... Une fois dehors, le lampadaire, le même qui lui sert à observer
la pluie, l'inonde de sa lumière lunaire. L'homme est couvert de noir.
Pantalon noir, pull noir. Après avoir respiré la fraîche odeur de la
nuit, il descend les escaliers, doucement... Puis, arrivé assez loin,
il prend un pas normal, et se met à chanter tout bas, pour se rassurer
dans la nuit qui l'enveloppe. Un frémissement court dans les feuilles
mortes, à droite... Sont-elles vraiment mortes ? Le pauvre essaye de ne
pas trop penser à ce qui a pu les faire bouger. Il regarde droit devant
lui, et pense à ce qu'il a dans la main. Un rectangle de papier blanc,
avec une petite étiquette rouge et une adresse. Il a poussé la porte
métallique du jardin, le voilà dans la rue. Il reprend son souffle et
commence à marcher le long du caniveau... Pourvu que les chiens
n'aboient pas. Craintif, l'homme avance, en chantant doucement, et en
surveillant les grillages des voisins, gueules potentielles de molosses
agressifs. Il est maintenant au croisement. De l'autre côté de la
grande rue l'attend, petite et insoupçonnée, jaune et fantômatique, la
boîte aux lettres. Il traverse la rue, sans se presser, souriant,
radieux dans la nuit noire. Il relit, à la lueur d'un réverbère jaune,
l'adresse sur la lettre :
"Mlle Chloé
Premier rêve
Rue des vins
Tout au fond des yeux"
Il
ferme les yeux, embrasse doucement le papier de l'enveloppe, et confie
son trésor à la boîte jaune. Puis il remonte se coucher. Il revient sur
les rues, a de nouveau peur en passant devant les maisons des voisins,
pousse la porte du jardin. En haut des marches, le chat noir attend,
assis. L'homme s'arrête, le regarde. Le chat est immobile en haut des
marches, il dévisage l'homme avec ses yeux verts sans fond. Il a une
petite tache blanche sous la tête. L'homme sourit, et va prendre le
chat dans ses bras. Et après quelques caresses et quelques
ronronnements, la page de la journée se tourne pour l'homme, et il va
dans son lit retrouver sa Dulcinée imaginaire.