Fête à Roquefort-les-pins
Il était une fois un village pourri dans l'arrière-pays pourri d'un
département pourri qui vote à 20 % FN. Le village s'appelait Roquefort-les-Pins.
Dans ce petit village, il y eut un jour une grande fête, pour la
Saint-Jean. J'y étais. C'est rigolo, les fêtes à Roquefort-les-Pins.
Comme c'est peuplé de vieux, le feu d'artifice avait un parfum de 1950.
Bande sonore : les plus grands succès d'Edith Piaf. C'est tout. Plutôt
étrange. Mais bon moi ça m'était un peu égal vu la beauté du feu
d'artifice. Après, ils ont allumé un énorme brasier qui a créé une
grande colonne de poussières enflammées, dans la nuit. Et puis est venu
le bal. Au début, il n'y avait que de vieilles valses musettes pour
faire danser les vieux, et ça me faisait sourire, ces deux-trois
couples grisonnant qui tournaient à petits pas sur les planches. J'ai
vite regretté l'accordéon. Au départ des vieux, ils ont ressortis le
répertoire abrutissant habituel, Macarena, Un Dos Tres, et même
Chihuha. Ah, celle-là, c'en était trop, je suis allé prendre l'air.
J'ai marché dix minutes, comme j'étais seul j'ai chanté quelques
chansons et puis j'ai fait demi-tour. La Lune me faisait face, à
demi-cachée. Elle avait l'air toute triste. Alors j'ai sorti mon lacet
de ma poche, et je m'en suis servi de grapin. Je suis monté sur la
Lune, et je lui ai demandé : "Et alors, ça va pas fort ? Qu'est-ce
qu'il y a ?" Et elle m'a répondu : "Personne ne fait jamais attention à
moi. Regarde tous ces gens, en bas. Pendant votre feu d'artifice, pas
un seul d'entre eux ne m'a regardée. Mais je les comprends... Je n'y
peux rien, je ne suis pas belle."
Et allez... La Lune, elle est très délicate, elle fait des complexes comme ça... Comme une adolescente.
"Mais
tais-toi, demi-lune. Tu sais bien, que, moi je t'ai regardée. Même
pendant le feu d'artifice. Tu es belle, à ta manière ! Pas de cette
beauté éblouissante et éphèmère qu'ont ces fleurs de feu, mais d'une
beauté bleue, rassurante... Allez, ne pleure pas... Le moindre humain
triste, là-bas en bas, se consolera, pourvu qu'en levant la tête, il
voit ta face claire dans le ciel. Regarde, Lune. Quelle beauté tu
envies ? Une beauté reproduisible à l'infini, par la main de l'homme,
une beauté dont même le nom contient le mot "artifice" ! Alors que toi,
tu es là, belle, naturelle, hors de portée, et que tu consoles les
coeurs mélancoliques qui sortent à la lumière de la nuit."
Je
lui ai fait un gros câlin, et j'ai attendu qu'elle retrouve son pauvre
sourire habituel pour redescendre. C'est le comble, tiens, consoler la
Lune ! Ha ! Y'a des jours, franchement...