Je ne m'oublierai jamais
Quand j'étais petit, je voulais foutre le feu. J'étais une grosse boule de haine. Haine contre les curés, contre les rascistes, contre les connards qui ruinent le monde, contre ses enfoirés de grands-patrons qui rendent malheureux tant de gens à travers les pays, tout ça pour du fric. Je disais, quand je serai grand, je mettrai un grand coup de pied dans cette société de merde, je ferai des doigts d'honneur aux flics, je me laisserai jamais marcher sur les pieds. Les adultent disaient : "Oui, j'étais pareil à ton âge... Mais, tu verras, tu finiras par l'accepter, ce monde. Tu te diras, oui, autant profiter de la chance que j'ai d'être né français dans une bonne famille de classe moyenne, plutôt que de mettre ma vie dans un combat perdu d'avance..."
Et moi, horrifié, je me suis accroupi dans ma baignoire, un jour, à 14 ans, et je me suis fait une promesse secrète. "N'oublie jamais. N'oublie jamais ma révolte, n'oublie jamais ce que j'ai ressenti à l'adolescence pour ce monde. Ne me trahis pas. Je ne veux pas être complice d'une horreur pareille. Rappelle-toi toujours, même si tu es heureux, ces visages squelettiques des enfants africains, obligés de faire la guerre pour trouver à manger dans les décombres. Rappelle-toi toujours, même si tu es amoureux, la face bouffie de tel dirigeant, venant pleurer sur la tombe d'un résistant fusillé à 17 ans... N'oublie pas, je t'en supplie, penses-y chaque jour, je ne veux pas être un criminel. Ne deviens jamais adulte, s'il te plait... Ne pactise pas avec eux..."
Chuuut... Calme-toi. Je ne t'oublierai pas... J'ai une énorme plaie à la place du coeur, ça s'appelle la conscience. Et tous les malheurs du monde enfoncent chaque jour une aiguille enflammée dans cette plaie... Même si ça fait mal, je l'assumerai jusqu'à ma mort... Je peux regarder une photo de moi à 14 ans, sans états d'âme. Je ne m'oublierai jamais.