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Le blog de Chantecler
20 octobre 2007

Evasion

Avec amour, comme chaque dimanche, le vieux ratissait son jardin. Il épouillait l'herbe de toutes les feuilles mortes. Sous son chapeau de paille était cachée une figure ridée par les rires plus que par les années. Sur son grand tarin trônaient deux petites lunettes rondes. Il se redressa, et, relevant ses lunettes, passa son mouchoir sur sa figure. Il s'appuya sur son rateau pour reprendre son souffle. C'était moins facile pour lui qu'avant de ratisser son petit jardin. Mais, maintenant, au moins, il avait le temps. Tout le temps qu'il voulait, la vie devant lui. Jamais la mort ne lui avait paru plus lointaine que depuis le début de sa vieillesse.
Soudain, il entendit des bruits dans la rue, derrière sa petite haie fleurie de lauriers roses. Des grognements et des râclements. Il vit passer un morse qui se traînait avec toute la vitesse dont il était capable sur le bitume. Le vieux, amusé, le regarda passer et se remit à son travail.
Quelques minutes plus tard, il entendit du bruit dans la rue, derrière sa petite haie chérie. Des coups de sifflet. Un poulet passa en courant et en sifflant comme un dingue. Il s'arrêta devant la porte du jardin du vieux. Il lui adressa la parole d'un ton solennel.

"Monsieur, un morse s'est évadé du zoo. C'est une sorte de grosse otarie avec deux grandes dents. Il s'est rendu coupable d'une violation de type 4 de l'article 468.732, alinéa 45 paragraphe 2 bis, section animaux, du code des interdictions. Il est à ce titre potentiellement très dangereux. Je fais appel à votre sens civique."

Le sourire du vieux irradia dans la rue entière comme un soleil miniature. Il planta ses yeux flamboyant de vie dans ceux du poulet, puis, sans dire un mot, il tendit son bras, et déplia un index osseux dans la direction d'où le morse était venu. Le poulet fronça les sourcils.

"Vous êtes sûr ? C'est pourtant la direction du zoo !"

Le vieux haussa les épaules, et, toujours sans un mot, toujours souriant, il confirma la direction.

"Il a du me filer entre les doigts, ou se cacher quelque part. Merci de votre coopération. Grâce à vous, le fugitif va être puni à la hauteur de son crime."

Et le poulet fit demi-tour en claquant les talons, et se remit à courir dans l'autre sens en soufflant comme un dingue dans son sifflet. Le vieux le regarda partir. Il ferma un instant le yeux, sentit la caresse du soleil sur sa peau ridée, prit une intense respiration, et se remit à l'oeuvre.

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Commentaires
O
Tu es pardonnable par mention des morses.
Le blog de Chantecler
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